“Tiens, ramasse tes couilles, enculé”, “Vous n’aviez qu’à rester chez-vous” ou “défoncez-moi tout ça”, des phrases parmi tant d’autres qui témoignent davantage de la systématisation des violences policières lors des mouvements sociaux que de quelques dérapages isolés. La première est lâchée par un officier de police après qu’il ait fait usage de son LBD dans une manifestation parisienne contre la réforme des retraites en 2023. La suivante est une réponse à une manifestante et sa fille coincées dans une “nasse” depuis plusieurs heures, lors des mobilisations contre la retraite à points en 2019. La dernière, c’est l’ordre donné par un commissaire de police à ses troupes lâchées sur les Gilets Jaunes en 2018. Depuis 2016 et la mobilisation contre la Loi Travail, la doctrine du maintien de l’ordre en France a opéré un tournant autoritaire sans précédent. Une dérive structurelle dictée par la volonté politique de réprimer les contestations plutôt que de garantir leur libre expression. Extrait du journal départemental - L'Ecole de la Lutte ! #8
Les chiffres des violences policières et les nombreux témoignages quant à l’usage de la police dans les mouvements sociaux ont de quoi donner le tournis. En quelques années, ce qui était l’exception est devenue la règle et il est désormais fréquent de faire le constat de mutilations ou d’autres bavures policières dans les manifestations. Une utilisation tellement disproportionnée de la force qu’elle a entraîné la mort de 3 personnes en moins d’une dizaine d’années avec le décès de Rémi Fraisse à Sivens, de Steve Maia Caniço à Nantes et celui de Zineb Redouane à Marseille. Avec trente manifestantEs éborgnéEs, des dizaines de mains arrachées et des centaines de blesséEs gravEs, le mouvement des Gilets Jaunes a concentré de façon inédite ce déchaînement de violence et témoigne à lui seul de la volonté délibérée de l’Etat de meurtrir sa propre population.
A l’occasion de la mobilisation en cours contre la réforme des retraites, le gouvernement de Macron est à nouveau pointé du doigt au niveau international que ce soit par des ONG comme Amnesty International ou par des institutions mondiales comme l’ONU. Les rapports se succèdent pour dénoncer la doctrine du maintien de l’ordre à la française. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe s’est elle-même inquiétée de la situation en France et déclare dans un communiqué fin mars 2023 : « Les conditions dans lesquelles les libertés d’expression et de réunion trouvent à s’exercer en France dans le cadre de la mobilisation sociale contre la réforme des retraites sont préoccupantes. Il appartient aux autorités de permettre l’exercice effectif de ces libertés, en protégeant les manifestants pacifiques et les journalistes couvrant ces manifestations contre les violences policières et contre les individus violents agissant dans ou en marge des cortèges ». « Des actes répréhensibles commis par d’autres personnes au cours d’une manifestation ne sauraient justifier l’usage excessif de la force par les agents de l’Etat. Ces actes ne suffisent pas non plus à priver les manifestants pacifiques de la jouissance du droit à la liberté de réunion »
Aux violences physiques s’ajoutent en effet les violences psychologiques et symboliques. Les nombreuses arrestations arbitraires qui se sont déroulées ces dernières semaines laissent des traces sur celles et ceux qui les subissent. Les gardes à vue et le temps de privation de liberté provoquent des traumatismes profonds. Partir en manifestation et ne pas rentrer chez soi le soir, subir les menaces et les insultes de certainEs représentantEs des forces de l’ordre est tout sauf anodin. Une stratégie de la tension qui n’a qu’un seul objectif : instiguer la peur et intimer le silence. Les manifestations spontanées quasi quotidiennes dans plusieurs villes de France suite au recours du 49,3 ont été le théâtre d’un nombre inouï d’arrestations. Les gardes-à-vue abusives et les fameux “PV minority” report instaurent l’idée que l’on peut être coupable du simple fait de manifester. C’est tout le sens des déclarations mensongères du ministre de l’intérieur affirmant que toute participation à une manifestation non déclarée était illégale.Un constat partagé par de nombreusEs magistratEs. Pour preuve, ne serait-ce que pour le seul soir du 16 mars, sur les 293 interpellations réalisées à Paris, seule 3% d’entre elles ont donné lieu à des poursuites judiciaires. Les avocatEs des personnEs interpelléEs témoignent de nombreuses gardes-à-vue de près de 48h sans le moindre dossier solide. Une pratique qui s’apparente à des gardes-à-vue sanction sans aucun fondement juridique. Si la judiciarisation du maintien de l’ordre n’est pas nouvelle, elle ne cesse de s’aggraver et peut avoir de lourdes conséquences sur les personnEs qui en sont victimes. Comme le dénonce le Syndicat de la Magistrature, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une “instrumentalisation du droit pénal par le pouvoir politique afin de dissuader les manifestants de manifester et d’exercer cette liberté”.
Du côté de l’étranger, la doctrine du maintien de l’ordre à la française passe pour archaïque. La France est une des rares démocraties européennes à utiliser des armes de guerre contre sa population. En Allemagne, en Belgique, au Danemark, au Royaume-Uni et dans bon nombre de pays d’Europe de l’Ouest et du nord, pas de recours au LBD, pas d’utilisation de charge explosive, pas de grenade lacrymogène, encore moins de véhicules blindés. Là où en France un tel usage est permanent, d’autres démocraties font un choix tout autre en privilégiant la stratégie de la désescalade et refusant par dessus tout la mutilation de leurs concitoyenEs. La liberté de manifester y est considérée comme sacrée. Les images des milliers de projectiles jetés, l’intervention des policiers de la BRAV-M en Quad et la gravité des blessures infligées aux manifestantEs à Saint-Soline dénotent avec cette évolution.
Mais là encore, unE agentE de police ne peut blesser avec une grenade de désencerclement ou un LBD que s’iel en est équipé. Et c’est là que le débat sur les violences policières doit se muer en procès contre les violences de l’Etat. Le maintien de l’ordre est l’opération policière la plus militarisée au sens où elle obéit à une chaîne de commandement très hiérarchisée et définit dans le cadre du Schéma National du Maintien de l’Ordre. On y prévoit, les techniques à employer, la gradation de la réponse, les armes à utiliser. Lorsqu’unE policierE blesse unE manifestantE, il y a un responsable politique derrière ce choix. Depuis sa prise de fonction place Beauveau, Gérald Darmanin n’a eu de cesse de durcir ce cadre général tout en couvrant abus et dérives de grande échelle. Les quelques sanctions pour l’exemple de fonctionnaires de police ne suffiront pas à le dédouaner. Cette vision politique c’est aussi celle de Macron.
Face à cette violence de l’Etat, le mouvement social s’organise lui aussi. Si la peur de manifester l’emporte parfois, elle fait aussi place à de nouvelles pratiques militantes et à la détermination de faire respecter ses droits malgré tout. Face à la gravité des attaques que nous subissons, les mobilisations sont de plus en plus fréquentes et radicales et il ne peut y avoir de réponse policière aux crises, sociales, économiques, et écologiques que nous subissons. La répression à laquelle nous assistons n’étouffera pas la contestation, mais risque au contraire de faire naître de nouvelles crises. Elle est finalement l’expression la plus éclatante de la fuite en avant de gouvernements successifs en manque de légitimité.
e[extrait] Journal départemental - mars 2023
Cet article est un extrait du journal départemental de SUD éducation 13 de mai 2023 - L'Ecole de la Lutte ! #8 : Ne restons pas sages !
L’Ecole de la Lutte ! – Ne restons pas sage ! | #8 – mai 2023