Un article sur les fortes chaleurs dans le numéro d’hiver de L’Ecole de la lutte ? Pas si étonnant, quand on pense que les épisodes caniculaires sur le temps scolaire vont devenir plus fréquents et plus violents dans les années à venir. Or, pour agir syndicalement dans son école ou son établissement pour protéger élèves et personnelLEs, il faut anticiper... et porter des revendications fortes de transformation écologique de l’école. Extrait du journal départemental - L'Ecole de la Lutte ! #9
Il faut d’abord partir du constat scientifique : en France, 23 épisodes caniculaires ont été enregistrés par Météo France entre 2000 et 2021, alors qu’il n’y en avait eu que 17 en plus de cinquante ans entre 1947 et 1999. On se souvient du report du brevet en 2019 ou, pire, du bac sous canicule en 2022 : ces épisodes, en fin ou en début d’année scolaire, sont amenés à se multiplier.
Face à ces risques qui pèsent sur la santé des personnelLEs et des élèves, l’inaction du ministère de l’éducation est effarante. Sous prétexte que le bâti scolaire est de la compétence des collectivités territoriales (la municipalité pour le premier degré, le département pour le collège et la région pour le lycée), le ministère n’a prévu aucun plan d’ensemble pour la rénovation énergétique des locaux qui sont dégradés, mal isolés, mal ventilés, ni pour la débitumisation et la végétalisation des espaces extérieurs.
Quant à l’espace intérieur par excellence qu’est la salle de classe, l’exceptionnalité de notre ministère par rapport à d’autres administrations ou aux entreprises privées est frappante. Nous sommes si habituéEs à voir la santé à l’école reléguée en bas des priorités qu’il nous parait normal que les salles de classes ne soient pas des lieux climatisés (sinon ventilés), alors qu’il serait impensable aujourd’hui que des espaces de bureaux soient sans climatisation. C’est valable pour les bureaux des DSDEN et des Rectorats !
Que dit le droit ?
Aujourd’hui, dans le droit français, il n’existe pas de seuil thermique minimal et maximal au-delà desquels les travailleurEUSEs sont autoriséEs à cesser le travail. L’instauration d’un tel seuil est une revendication majeure, qui est partagée par plusieurs organisations syndicales (CGT, FSU, Solidaires) et qui s’appuie notamment sur les analyses de l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), rattaché à l’Assurance maladie : « au-delà de 30°C pour une activité de bureau et de 28°C pour un travail physique, la chaleur peut constituer un risque pour la santé des salariés ». De plus, on peut considérer que des températures au-dessus de 33°C et en-dessous de 18°C constituent un danger.
Pourtant, le « Plan 2023 de gestion des vagues de chaleur » présenté en juin dernier par le ministère de la Transition écologique n’aborde pas cette question et ne contient aucune proposition à la mesure des enjeux. Tout est dans le titre d’ailleurs : il propose de la « gestion », autrement dit, de la « gesticulation ».
En revanche, l’action syndicale peut et doit s’appuyer sur un principe de droit essentiel : l’employeur, public comme privé, a une obligation de protection de la santé et de la sécurité des agentEs (Code du travail, art. L 4121-1, applicable à la fonction publique, pour l’obligation de prendre des mesures de protection ; Décret n°82-453 du 28 mai 1982, pour la responsabilité des chefs de service).
Dans quel sens agir ?
D’une part, des mesures concrètes peuvent être appliquées immédiatement ou à court terme : la mise à disposition de ventilateurs, l’accessibilité d’un point d’eau à tout moment, l’équipement des élèves et personnelLEs en gourdes au début de l’année scolaire, le report des examens et la fermeture des établissements en cas de canicule et le contrôle effectif des températures par les Comités Sociaux d’Administration tout au long de l’année.
D’autre part, il est indispensable de porter des revendications qui agissent sur les causes et les effets du réchauffement climatique : instaurer des seuils minimaux et maximaux de température, débitumer et végétaliser les cours de récréation, repenser l’organisation du travail et les rythmes scolaires, par exemple, augmenter la durée et la fréquence des pauses, et instaurer des horaires d’été en commençant et en finissant plus tôt (ce qui permettrait aussi de réduire l’utilisation de climatisations énergivores), avec pour horizon une baisse générale du temps de travail.
Enfin, pour être vraiment efficaces, ces mesures doivent s’appuyer sur un plan national de rénovation énergétique des locaux et, plus largement, sur la défense d’un modèle de sortie du capitalisme, à la racine du changement climatique.
Comment agir ?
Pour réaliser ces revendications, il faut construire le rapport de force, notamment en mettant l’employeur face à sa responsabilité et à son obligation de protection : pendant les épisodes de froid ou de chaud extrême, mesurer la température et renseigner le registre RSST de façon objective ; à tout moment, interpeller la hiérarchie par des courriers (inter) syndicaux, interpeller les éluEs des collectivités dans les conseils d’école et d’administration. Ces alertes ne suffisent généralement pas en elles-mêmes, mais elles permettront d’alimenter le dossier pour une action plus forte, comme une grève locale ou l’exercice de son droit de retrait.
Changer nos pratiques éducatives
En plus de l’action syndicale, se préoccuper de la santé et de la sécurité des personnelLEs et des élèvEs doit nous encourager à sortir du déni du corps à l’école. Les élèvEs ne sont pas que des esprits à éduquer, des intelligences à nourrir, mais aussi des personnes vivantes, qui expriment des besoins. Trop souvent, en particulier dans l’enseignement secondaire, l’institution exerce des pressions et une coercition sur ces corps : interdiction de boire dans les salles de classe, interdiction de se rendre aux toilettes, verrouillage des sanitaires hors des récréations, déni des besoins particuliers (y compris ceux qui font l’objet d’un PAI), discours sur la domination du corps par l’esprit qui sous-tend toutes les injonctions qui font le quotidien des élèves (« se tenir », « se retenir », « se ranger »), etc.
Globalement, une partie encore trop grande du personnel éducatif entretient une ignorance volontaire et parfois revendiquée des besoins ou des douleurs de l’enfant, comme l’illustre la traque quotidienne des élèves qui ont « réellement besoin » d’aller à l’infirmerie et cellEUX qui simuleraient ou exagèreraient. L’augmentation des risques sur la santé causée par le changement climatique rend de plus en plus flagrante la contradiction entre cette tradition disciplinaire et notre responsabilité partagée de soin et de protection. La transformation écologique de l’école et de la société doit aussi passer par une transformation éducative.
e[extrait] Journal départemental - mai 2023
Cet article est un extrait du journal départemental de SUD éducation 13 de mai 2023 - L'Ecole de la Lutte ! #9 : Entre les murs