A Marseille, la lutte pour la rénovation des écoles est une question cruciale. Elle a grandement contribué à porter à la Mairie, la nouvelle équipe municipale. Pourtant malgré les annonces, le projet en cours suscite de nombreuses questions politiques et éthiques. Pour nous guider dans cet entrelacs administratif et techniques, nous avons fait appel à Albertino, membre de la FCPE et acteur de la lutte contre les PPP. Extrait du journal départemental - L'Ecole de la Lutte ! #9
SUD : Est-ce que tu peux nous raconter d’où vient la lutte pour la rénovation des écoles à Marseille avec notamment le collectif « Marseille contre les PPP » ?
Albertino : On a coutume de mettre comme point de départ à la prise de conscience politico-médiatique sur l’état des écoles marseillaises, un article paru dans Libération en 2016 avec la mise à l’index de Jean-Claude Gaudin alors maire de Marseille. A ce moment-là, pour agir vite, il est acté la mise en place des Partenariats Publics Privés (PPP) pour les 33 écoles en situation d’urgence. A noter que le ministre de l’Économie et des Finances présent lors de cette réunion de crise est alors Emmanuel Macron, encore ministre pour quelques semaines avant de démissionner pour partir en campagne présidentielle. Nait alors le collectif Marseille contre les PPP, dans lequel on retrouve SUD éducation 13, et plus largement l’intersyndicale éducation 13, les O.S. des territoriaux, le Syndicat des Architectes, des membres de la CAPEB (la Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment), et aussi certaines personnalités de divers partis politiques comme un certain Benoît Payan ou encore Jean-Marc Copolla. On peut dire que c’était une alliance assez atypique ! Et bien sûr, dans le collectif, il y avait les trois citoyens porteurs du recours contre les PPP qui va faire tomber la délibération qui actait le marché de partenariat pour rénover les écoles marseillaises. C’est une sacrée victoire qui a fait date et a marqué un coup de frein aux PPP en France !
SUD : C’est quoi concrètement un partenariat public-privé ? Et de manière plus générale, aujourd’hui, comment sont construits les bâtiments publics ?
Albertino : Quand tu veux construire un bâtiment public, il existe deux possibilités :
- Le moyen historique c’est la loi MOP (Maitrise d’Ouvrage Publique) aujourd’hui appelée « marché alloti » c’est-à-dire un marché subdivisé en lots distincts : la partie étude et la partie travaux sont séparées. La partie travaux est elle-même divisée en petits lots (gros œuvre, menuiserie, etc.) : concrètement, et pour prendre une image, c’est le permis de construire affiché devant un bâtiment avec tous les acteurs. Pensée et votée dans les années 1980, cette loi permet d’une part de donner une valeur architecturale (que tous les bâtiments ne se ressemblent pas) et d’autre part, d’aller vers des petites entreprises car il y a des lots divisés. C’est le marché historique ! De plus en plus, le service public est mis à mal avec les autres types de marchés qui suivent.
- Les Marchés Globaux de Performance (MGP) : une entreprise générale s’occupe de tout : maîtrise d’œuvre, des travaux et de la maintenance pendant 7 à 8 ans (notamment sur le chauffage) pour vérifier les obligations de la société. Début avril 2023, on assiste à une évolution de la loi : un tiers financeur peut être sollicité et le financement peut être étalé : on parle désormais de MGP expérimentaux. Le paiement peut être étalé sur 25 ans, exactement comme les PPP. La première conséquence : tu t’adresses à cinq ou six très grosses entreprises (Vinci, Eiffage etc.) qui sous-traitent massivement. Elles prennent des marges de 20 à 25% et mettent sous pression leurs sous-traitants. La seconde conséquence : le coût de la maintenance du bâtiment public est donné à l’entreprise privée alors que cela devrait être du ressort du service public (municipalités, départements ou régions), des services techniques des collectivités.
SUD : Tu viens de nous parler des MGP et des MGP expérimentaux, nouvelle manière de contourner la loi historique pour la construction des bâtiments publics. Avec les annonces de Macron dans le discours du Pharo sur « Marseille en grand », se concrétise la mise en place de ces types de marchés pour le plan de rénovation des écoles, n’est-ce pas ?
Albertino : Tout à fait ! Remettons le contexte : 2020, le Printemps marseillais fait sa campagne sur le milliard pour la rénovation des écoles (nous au CEM, on n’a jamais trop compris d’où provenait ce chiffre, sans doute le fait que ce soit un chiffre rond). Arrive septembre 2021 et le discours du Pharo. Macron annonce dans le plan « Marseille en grand » qu’il y aura 50 écoles innovantes pour un financement de 500 millions d’euros d’ici la fin du quinquennat avec la création d’une société qui aura pour mission de rénover les écoles. Il y a plusieurs éléments qui attirent notre attention :
- il n’existe aucun document de cadrage écrit pour le volet école du plan « Marseille en grand » : tout repose sur le discours du Pharo !
- dans la loi de finance pour 2024, concernant le volet « Marseille en grand », il y a une nouveauté : 4 millions prévus pour les écoles privées. Les écoles privées pourront solliciter le Rectorat pour des projets dits innovants.
- la société créée pour la rénovation des 188 écoles est la Société pour les écoles de Marseille (SPEM). Il s’agit d’un Marché global de performance expérimental avec des conséquences inquiétantes pour le service public.
Cette SPEM, sous la présidence du maire, a des objectifs précis : restaurer, et maintenir dans l’état les équipements et leur durabilité (entretien de maintenance). Déjà, cela a pris entre 6 et 9 mois pour nommer le directeur, il y a eu une bataille entre l’État et la ville et, pour faire court, l’État a gagné.
Ensuite, et pour résumer, ce qui pose problème avec la SPEM, c’est qu’au lieu de faire de la ville de Marseille un établissement public constructeur, c’est-à-dire refaire de la maitrise d’œuvre, prendre du personnel, former ses équipes, faire des plans, etc... ils vont faire des marchés globaux, c’est-à-dire des marchés de partenariat avec des entreprises externes, et la ville va devoir payer des redevances jusqu’en 2061 alors que le budget augmente. Cela veut dire que la ville va devoir sous-traiter et externaliser, avec tous les risques que ça engendre. C’est entre 300 et 400 millions d’euros qui vont être affectés à l’entretien des écoles via les marchés globaux de performance et échapper ainsi aux services techniques de la ville. Plus gênant encore, on n’a aucune vision des 188 écoles qui sont dans la SPEM : on les connait au fur et à mesure. Et quid des autres écoles qui ont des besoins de maintenance ou de rénovation et qui ne font pas partie de la SPEM ?
C’est pour ces raisons que la FCPE attaque le marché de partenariat entre la ville et la SPEM (elle a déposé un recours) qui a été contractualisé et qui oblige la SPEM à favoriser les marchés globaux.
SUD : C’est notamment sur cet aspect-là, la privatisation de la maintenance du bâtiment public, que la FCPE se bat ?
Albertino : La FCPE souhaite que l’investissement majeur prévu pour la rénovation et construction des écoles puisse bénéficier aux services, que ces services techniques de la ville soient renforcés et agissent pour l’ensemble des écoles. La qualité du service public ne doit pas être tributaire du privé. Nous allons avoir une maintenance à 2 vitesses : les écoles du Volet 1 et celles du Volet 2 de la vague de rénovation. Avec la SPEM, les services de la ville ne verront que passer les contrats, cela n’engage pas et ne donne de réelle ambition politique pour le devenir de notre ville. La FCPE craint que la massification des travaux emportée par une urgence aboutisse à une catastrophe industrielle et financière.
SUD : Peux-tu nous dire en quelques mots à quoi sert la caisse des écoles et comment fonctionne-t-elle ?
Albertino : Le rôle premier de la caisse des écoles est d’aider les familles en difficulté, de financer les projets et de servir d’observatoire des pratiques faites dans les écoles et particulièrement dans les écoles expérimentales.
Normalement, à Marseille, pour financer les projets d’action éducative, tu passes par la caisse des écoles. Or avec les écoles expérimentales du projet Macron écoles innovantes on ne sait rien : il y a une opacité totale, on n’obtient aucune information.
Par exemple, avec la FCPE, on est aux commissions des projets, on peut discuter, demander plus de budget pour tel ou tel projet...
L’autre problème avec ce plan c’est qu’en donnant 500 millions d’euros, le président met ces écoles sous perfusion et cela peut s’arrêter dès la fin du quinquennat. Par exemple, une école « Macron » va être équipée en bacs à fleurs ou potager, mais qui va s’occuper ensuite de la maintenance ?
Enfin, ce qui nous choque à la FCPE c’est le fait que désormais, au bout d’une seule année d’expérimentation, les écoles privées bénéficient d’une part importante de ce budget, qu’elles utiliseront, n’en doutons pas...
e[extrait] Journal départemental - mai 2023
Cet article est un extrait du journal départemental de SUD éducation 13 de mai 2023 - L'Ecole de la Lutte ! #9 : Entre les murs