Depuis près de 30 ans notre système de retraite est attaqué de façon obsessionnelle par les libéraux et le patronat. S’il s’agit d’un des fondements de notre protection collective, son histoire reste méconnue. Rapide retour historique sur une conquête sociale majeur à défendre à tout prix. Extrait du journal départemental - L'Ecole de la Lutte ! #7
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Au 19e siècle
Au XIXe siècle, avec l’essor de l’industrialisation, certaines branches développent les premières mesures de prise en charge de la retraite par des sociétés mutuelles ou de prévoyance : la cotisation des ouvrierEs est optionnelle, avec un minimum d’années de service pour en bénéficier. Les patrons veulent fidéliser le prolétariat. On multiplie les régimes particuliers (mines en 1894, chemin de fer, métallurgie). C’est donc le principe de capitalisation qui s’impose initialement dans la prise en charge des retraites. En parallèle, l’Etat intervient faiblement : en 1853, un régime de pension pour les fonctionnaires est créé (30 ans de service, départ à 60 ans).
Le début du XXe siècle
Début XXe siècle, les notions de justice sociale, de « droit à l’assistance » et de « retraite des vieux » entrent dans le débat. Vote de la loi des « retraites ouvrières et paysannes » en 1910 : départ à 65 ans, cotisations des salariéEs et du patronat, complétées par l’État et mises sur un compte individuel. Les syndicats s’opposent à cette « retraite pour les morts » (CGT). Seulement 1,8 millions de personnes cotisent, pour 8 millions de travailleurEUSEs. Ce système concerne peu de monde et il est peu fiable à cause des crises financières et de l’instabilité économique (inflation, effondrement de certaines caisses).
A partir de 1945, le projet du CNR
A partir de 1945 l’Etat orchestre différentes réformes qui étendent aux salariéEs la garantie d’un système par répartition : les actifVEs cotisent et paient la retraite des plus âgéEs et s’ouvrent des droits pour le futur. La répartition, basée sur le principe de solidarité,s’impose dans nouveau pacte social repensé par le Conseil National de la Résistance (CNR), alors même que la situation socio-économique n’est pas favorable. Les retraites deviennent un salaire indirect socialisé.
Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 créent le régime général de la Sécurité Sociale : assurance vieillesse obligatoire, ouverture des droits à la retraite à 60 ans avec 30 ans de cotisation. Mais la pension représente seulement 20% du salaire, donc l’âge du taux plein est en fait 65 ans, avec un calcul à 40% du salaire de référence. On crée aussi la pension de réversion pour les veufVEs. Le secteur privé se dote de ses propres caisses de retraites complémentaires. Les régimes « spéciaux » sont conservés dans l’attente d’un alignement vers le haut.
Dans les années 1970, le niveau des pensions augmente (50 % des 10 meilleures années), les retraitéEs sortent de la précarité et les prestations sociales comptent pour 1/3 des revenus des ménages en 1980. La Sécurité Sociale permet une amélioration socio-économique rapide par la redistribution qu’elle opère.
1983 : la retraite fait partie de la vie
En arrivant au pouvoir en 1981, la gauche réforme encore les pensions pour faire de la retraite une tranche de vie à part entière.L’ordonnance du 26 mars 1982 fixe l’âge légal de la retraite à 60 ans à partir du 1er avril 1983. Une loi de 1986 inclut les exploitantEs agricoles. Une loi de mai 1983 instaure le minimum contributif pour assurer une pension suffisante pour les assiettes salariales les plus basses, à 70% des femmes.
Cependant, entre 1987 et 1991, sous la cohabitation, deux rapports promeuvent le report de l’âge de la retraite, et servent de point de départ au Livre blanc de 1991 qui insiste sur l’idée d’« un système en difficulté » et pose le cadre des réformes à partir des années 1990, dominées par la pensée néolibérale et le new management.
1993 : Balladur s'attaque au régime général
La réforme Balladur de 1993 s’attaque au régime général mais aussi aux trois régimes alignés. Elle repousse le nombre d’annuités de 37,5 à 40 pour pouvoir partir à taux plein. Les pensions baissent car elles sont maintenant calculées sur les 25 meilleures années. Enfin, les pensions sont désormais revalorisées par rapport aux prix et non plus aux salaires. Une étude de la CNAV de 2007 montre que cette réforme a eu un impact immédiat sur les retraitéEs de 1994 à 2008 avec des versements moins importants.
1995 : la mouvement social fait échouer le plan Juppé
Le projet de réforme Juppé visait à généraliser aux fonctionnaires et aux entreprises publiques les changements adoptés pour le secteur privé en 1993. Il prévoyait aussi une augmentation des tarifs appliqués à l’hôpital et des cotisations maladies pour les retraitéEs ou les chômeurEUSEs. Le projet est retiré le 15 décembre après un mouvement massif de grèves et de manifestations (plus de 2 millions de personnes dans la rue le 12 décembre). Une mesure importante passe quand même : l’instauration, en 1996, d’une loi de financement de la Sécurité Sociale, qui doit être adoptée chaque année par le parlement. Celle de 1999 oblige l’Etat à placer ses actifs sur les marchés financiers pour financer les retraites.
2003 : Fillon et le rallongement de la durée de cotisation
La réforme Fillon (2003) relance le projet de 1995 d’allongement de la durée de cotisation de 37,5 à 40 ans pour les fonctionnaires puis, de 2009 à 2012, à 41 ans pour le public et le privé. Le principe de décote prend de l’ampleur dans le privé et le public afin d’empêcher les travailleurEUSes de partir en retraite avant l’âge légal. Des mesures introduisent la retraite par capitalisation avec l’épargne salariale. Pour les fonctionnaires, la réforme crée un régime complémentaire obligatoire par points, la RAFP, et indexe la pension sur les prix, comme dans le privé depuis 1993.
Des grèves massives mobilisent salariéEs du privé et du public à partir de février, et rassemblent, en mai, plus d’1 million de personnes. Après la signature d’un accord entre le gouvernement et la CFDT et la CGC, le 15 mai, des manifestations se poursuivent, mais le gouvernement refuse de négocier et le texte est adopté le 24 juillet à l’Assemblée.
En 2008, une autre réforme s’attaque aux régimes spéciaux (EDF, SNCF, RATP, etc.), allongeant la durée de cotisation, gommant les spécificités de ces carrières et en revenant sur des acquis sociaux historiques.
2010 : Woerth de 60 à 62 ans
La réforme Woerth (2010) envisage le recul de l’âge de départ à la retraite à 62 ans en 2018, tandis que ceuxELLEs qui n’auraient pas qui n’ont pas assez cotisé doivent travailler jusqu’à 67 ans. La durée totale de cotisation passe à 41,5 ans. Les débats sur la pénibilité poussent le gouvernement à ouvrir une certaine reconnaissance, mais au cas par cas et non plus par branche. Les salariéEs souffrant d’une incapacité permanente de 10 à 20% liée au travail peuvent partir à 60 ans.
Encore une fois, un mouvement large et unitaire donne lieu à 14 journées de manifestations. En octobre, deux manifestations rassemblent 3,5 millions de personnes à une semaine d’écart. Mais le gouvernement ne lâche pas et passe en force en novembre 2010, alors que le mouvement de contestation est soutenu par 70% de la population.
La réforme Touraine : un nouveau recul à bas bruit
La réforme Touraine (2014) impose le principe d’allongement de la durée de cotisation pour partir à taux plein au fil des générations : la durée va augmenter d’un trimestre tous les trois ans jusqu’en 2035 pour arriver à 172 trimestres soit 43 ans pour les générations 1973 et suivantes. La reconnaissance de la pénibilité s’élargit avec la création du Compte Personnel de Prévention de la Pénibilité (C3P) qui doit entrer dans le calcul de l’âge de départ. Malgré des manifestations de nombreux syndicats, la CFDT accepte le projet et le gouvernement passe en force.
2019 - 2023 : les tentatives Macron
Sous les deux mandats de Macron, la réforme du système des retraites devient un leitmotiv de sa politique, au nom de la réduction des dépenses, avec une communication oscillant entre « terreur et séduction ». Le gouvernement, avec, sous le premier mandat, un parlement largement acquis à sa cause, exprime à la fois son intransigeance et sa surdité face à la contestation d'une réforme qui ne passe pas dans l’opinion publique, mais en parallèle, fait croire, en bon paternaliste, qu’il a la seule solution pour sauver le système.
L’ordonnance de septembre 2017 ampute le nombre de facteurs de pénibilité reconnus par l’Etat.
En 2019, le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye expose un projet de réforme instituant un système « universel » de calcul de la retraite par point. Chaque travailleurEUSe comptabilise des points tout au long de sa carrière. Cette réforme remet en question la reconnaissance de la pénibilité des métiers, des interruptions de carrière etc. Le gouvernement refuse de communiquer sur le calcul des montants des pensions, mais on sait que la valeur du point va varier selon la conjoncture économique. La réforme ne fait pas référence à l’âge légal (62 ans) mais à un « âge pivot » de départ, à 64 ans, qu’il faudra atteindre pour obtenir sa retraite au taux plein.
De septembre à décembre 2019, une intersyndicale appelle à des mouvements de contestation massifs et réunit 1,5 millions de personnes dans la rue. 70 % de l’opinion publique est défavorable à la réforme.
Delevoye, devenu ministre, démissionne le 16 décembre 2019 suite à la révélation de ses liens avec le monde de l’assurance privée.
e[extrait] Journal départemental - mars 2023
Cet article est un extrait du journal départemental de SUD éducation 13 de mars 2023 - L'Ecole de la Lutte ! #7 : Regagnons les jours heureux.
L’Ecole de la Lutte ! – Regagnons les jours heureux | #7 – mars 2023